Centre
Briançonnais de Géologie Alpine
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Paramoudras du Jaizkibel
Investigations à partir de lames minces
Décembre 2014 J-Louis Henry
Doct-Ing
Préambule
-
Le
massif du Jaizkibel, situé sur le littoral du pays basque espagnol
entre Hendaye et San Sebastian, abrite sur ses plages une formation
géologique unique au monde : il s'agit de boules de grès
de la taille d'un boulet de canon, qui évoquent les vestiges
d'une gigantesque bataille navale antique, si l'on considère
la multitude des boules jonchant le littoral.
-
Toutefois
une origine paléontologique est assez volontiers admise: ainsi,
la cimentation des grès sous la forme de boules est attribuée
à une espèce de ver marin, vivant dans les sables d'une
paléo plage à l'Eocène, et dont les boules matérialisent
l'habitacle, plus précisément la zone des déjections.
-
Plusieurs
indices sont en faveur de cette hypothèse : d'une part
la présence de tubes rectilignes aux parois bien délimitées
et pénétrant dans chacune des boules, d'autre part la
présence de pistes sur le sol de la paléo plage fossile,
disposées en étoile et connectées aux tubes ;
ensuite la plus forte concentration de débris de coquilles
animales dans les boules que dans les terrains encaissants, et enfin
la similitude de ces formations avec d'autres, fossiles ou actuelles,
générées par des animaux de type « vers ».
-
Au
demeurant des interrogations subsistent, du fait de l'absence de fossiles
« directs ». En outre, le caractère unique
de la formation a été un obstacle pour l'entreprise
d'un travail de thèse, le thème étant trop spécifique.
-
la
nature et la taille des grains,
-
la
nature du ciment lorsqu'il existe,
-
la
présence et la nature des débris de fossiles,
-
la
nature et la texture des tubes.
-
Les
différences entre les boules et leur encaissant.
Contributions
L’instigation de ce travail émane d'une discussion
entre Michel MOLIA, Thierry JUTEAU(*) et moi-même. Il s'agissait
d'offrir à Michel MOLIA quelques outils d'investigation, telles
des lames minces, pour mieux comprendre la genèse des paramoudras.
Les échantillons ont été récoltés
par Michel MOLIA.
Les lames minces ont été confectionnées
par moi-même.
Les investigations au MEB, avec clichés en LP/LPA,
ont été réalisées par Olivier GRAUBY(**) ;
celles en DRX par moi-même.
L'interprétation des résultats a bénéficié
des conseils de Jean-Jacques COCHEME(**).
(*) Professeur honoraire à l’Université
de Brest.
(**) Maitre de Conférences à l'Université
d'Aix-Marseille.
***
Matériau de l'étude
Trois
séries d'échantillons ont été fournies par
Michel MOLIA.
Série
1 : Se rapporte
à un paramoudra noté P19 (photos page suivante)
-
dans
le corps du paramoudra : lames référencées
JZK-Par
-
dans
la partie contenant le tube, perpendiculairement à son axe :
lames référencées JZK-Par2 et JZK-Par3
Série
2 : Se rapporte
à un paramoudra noté P2 ( photos page suivante)
Série
3 : Se rapporte
à un paramoudra noté P22
-
Echantillon
7 : petit bloc de l’enveloppe
du P22, connexe au corps sphérique du P22. A noter que les
deux échantillons 6 et 7 vont permettre de comparer très
directement la texture d'un paramoudra et de son enveloppe, à
partir de la taille des grains et nature du ciment.
Les
lames minces fabriquées sont répertoriées dans le
tableau qui suit.

Série1
- (P19) Echantillon 5 après sciage. Remarquer le tube, côté
gauche.

Série1
- (P19) Echantillon 3. Le point rouge indique la polarité.

Série2
- (P2) Echantillon 2. Le point rouge indique la polarité (face
sup).
Tableau de synthèse
des investigations
Série
|
Echantillon
|
Nature
|
Réf
lame
|
MEB
|
DRX
|
Photo
|
P19
|
Ech
1
|
Encaissant
|
JZK-E1
|
x
|
|
x
|
|
Ech3
|
Enveloppe
|
JZK-E3
|
x
|
x
|
x
|
|
Ech
4
|
Cordon
|
-
|
|
x
|
|
|
Ech
5
|
Corps
Par
|
JZK-Par
|
x
|
x
|
x
|
|
Ech
5
|
Tube
|
JZK-Par2
|
|
x
|
x
|
|
Ech
5
|
Tube
|
JZK-Par3
|
x
|
|
|
P2
|
Ech
2
|
Corps
|
JZK-E2
|
x
|
|
x
|
P22
|
Ech
6
|
Corps
|
JZK-P22
|
|
|
|
|
Ech
7
|
Enveloppe
|
JZK-E22
|
|
|
|
Synthèse des observations
au microscope polarisant(*)
Les
observations détaillées figurent en annexe.
(*)
complétées par les observations au MEB et en DRX
-
Corps
des paramoudras
-
Tous
les corps de paramoudras présentent une structure analogue,
les nuances ne concernent que la granulométrie qui peut être
variable.
-
La
roche est un grès, à grains siliceux moyennement calibrés
entièrement cimentés par un ciment calcaire (calcite)
-
Les
grains de silice sont non jointifs, donc la cimentation a eu lieu
avant diagénèse.
-
Les
grains sont majoritairement monocristallins, avec une faible proportion
(entre 10 et 20%) de poly cristallins, dont une majorité d’origine
métamorphique, ainsi que quelques cherts.
-
On
trouve de nombreux petits débris de coquilles de nature calcaire.
Ces fossiles ont été décrits par d'autres études.
-
Les
quelques minéraux annexes, en très faible proportion,
sont : feldspath K, biotite, muscovite, et des cristaux verts
pouvant être de la tourmaline ou de la glauconie.
-
La
variabilité de granulométrie (taille des grains) entre
les différents paramoundras peut se résumer ainsi :
-
P19 :
100 à 1000 µ, à majorité de grains fins.
-
P2 :
50 à 250 µ, moyenne autour de 100 µ
-
P22 :
idem P19
Nota : ces valeurs sont cohérentes avec celles
fournies par Nogales, Aranburu et Molia: 100 à 700 µ.
La pseudo stratification sur la face du P2 (échantillon
2) n’est pas observée dans les lames minces, donc il s'agit
plutôt d'une figure érosive récente.
-
La
DRX ne confirme que le quartz, ce qui signifie que la proportion des
autres minéraux est faible ; cela pose toutefois un problème
pour la calcite composant le ciment, dont la proportion est notable.
-
Les
observations au MEB confirment celles faites à partir des lames
minces. L'analyse chimique associée révèle, en
plus du silicium et du calcium contenus respectivement dans les grains
de silice et dans le ciment calcaire, la présence significative
et concomitante d'aluminium et de potassium, qui peut tout à
fait confirmer la glauconie, déjà remarquée en
microscopie.
-
Tube
des paramoundras
-
Le
remplissage du tube est identique en tous points à l'extérieur,
aussi bien la taille et la répartition des grains que la nature
du ciment et des minéraux annexes.
-
La
paroi du tube en revanche se différencie par la couleur du
ciment, d'un gris analogue à celle des débris de coquilles
tout en ayant une granulométrie extrêmement fine.
-
Il
est à noter que la préservation de la section du tube
a nécessité une induration préalable au surfaçage
du talon et au collage sur le verre, ce qui indique une grande fragilité
du tube probablement liée à sa porosité, alors
que le corps du paramoudra ne présente lui pas de porosité.
-
L'examen
au MEB confirme l’existence d'une porosité, et montre
que c'est le seul élément qui différencie le
tube du corps de paramoudra.
-
Roches
encaissantes et enveloppes
-
Dans
la suite, on désigne par encaissant à la fois l'enveloppe
des boules et les terrains plus éloignés déjà
appelés « encaissant », car l'observation
des lames minces ne montre aucune différence significative.
-
En
lame mince, on trouve un grès non cimenté.
-
La
porosité de ces échantillons est importante.
-
Nota :
cette porosité exige un mode opératoire particulier
de fabrication des lames : il faut remplir les vides de colle
avant surfaçage des talons et collage sur le verre, afin que
les talons ne se remplissent pas d'abrasifs lors de leur surfaçage
ultérieur ; cette opération s'appelle « induration ».
Son autre fonction est de consolider les échantillons friables.
-
Les
grains sont assez jointifs dans certaines zones, un peu moins dans
d'autres, là ou la porosité résiduelle est plus
importante.
-
Toutefois
la variation de compaction, y compris par rapport à celle du
paramoudra associé, n'a pas été étudiée
quantitativement.
-
La
granulométrie du grès de l'encaissant est en tous points
identique à celle du paramoudra associé.
-
Les
roches encaissantes contiennent très peu de débris de
coquilles.
-
Cordon
-
Désigne
la partie prolongeant le tube vers l'extérieur,à travers
l'encaissant
-
Cette
partie est plus ou moins bien préservée, du fait qu’elle
n'est pas cimentée ni protégée par le corps du
paramoudra.
-
Seule
une analyse en DRX a été faite, compte tenu de la texture
fragile.
-
Les
résultats sont analogues aux autres analyses : seul le
quartz est identifié.
Interprétation géodynamique
-
Les
paramoudras, se présentant sous forme de boules pseudo sphériques
de tailles variables, se sont formés à partir de sables
siliceux dont l'origine détritique est attestée par
la forme des grains et par leur relative calibration.
-
La
présence d'un tube pénétratif dans chaque boule,
ainsi que de nombreux débris de coquilles calcaires, indique
que la cimentation et les débris pourraient être effectivement
liés au travail d’un animal de type « ver »
dont le tube serait l'habitacle et la boule cimentée la zone
de diffusion des déjections ; cette zone irait croissant,
de manière concentrique à partir de l'extrémité
du tube, au fur et à mesure de la vie du ver, par un mécanisme
de diffusion aqueuse dans un milieu perméable plus ou moins
saturé en eau de mer.
-
La
mise à l'affleurement des boules, dans un encaissant qui se
dégage progressivement par érosion, s'interprète
parfaitement comme le résultat d'un processus érosif
différentiel : les boules cimentées résistent
nettement mieux que les grès non cimentés encaissants
à l'action des agents érosifs météoriques:
vagues, embruns, vents, périodes de tempêtes, cela dans
leur nouveau contexte de bord de mer.
-
L'absence
de débris de fossiles dans les terrains encaissants pourrait
être due à un phénomène de dissolution
par des fluides lors de la diagénèse, par analogie à
l'interprétation donnée dans le cas des grès
de Fontainebleau, et comme le suggère également le rapport
d'étude de Nogales, Aranburu et Molia.
-
On
peut ainsi proposer la chronologie suivante :
-
A
l'Eocène, dépôt de sables détritiques correspondant
au contexte régional d'érosion de la chaine pyrénéenne
dont l'orogénèse est récente.
-
Ces
sables forment une paléo plage où vivent des animaux
de type « ver », dont les terriers ont une forme
de tube, et leurs déjections organico-calcaires emplissent
une zone pseudo sphérique en extrémité de terrier,
à la faveur de la perméabilité et de la saturation
du milieu.
-
Lors
de la phase de diagénèse résultant de l'enfouissement
progressif des sables (subsidence probable du bassin), les zones de
déjections se consolident en grès à ciment calcaire,
sans porosité résiduelle, alors que les terrains encaissants
se consolident en grès non cimentés, plus ou moins bien
compactés mais présentant une porosité résiduelle
importante.
-
Lors
de l'exhumation récente du massif du Jaizkibel, sa partie en
contact avec la surface de l'océan est soumise à une
intense action météorique qui provoque une érosion
globale de la formation gréseuse ; l'érosion détruit
en premier les grès poreux de l'encaissant, et déchausse
progressivement les boules bien cimentées, générant
ainsi les paramoudras.
Points
non abordés ou non approfondis :
-
Le
mode de vie des « vers », leur type.
-
Le
mode exact de diffusion des déjections en bout de tube, qui
conduit aux formes pseudo sphériques observées.
-
La
relation entre la taille des tubes et celle des boules.
-
La
nature exacte des déjections, mise à part la fraction
calcaire et les débris de coquilles qui est observée,
et notamment la fraction organique dont on ne retrouve pas de vestiges.
-
Les
éventuels phénomènes de dissolution recristallisation
dans les grès encaissants, lors des processus diagénétiques
et de circulations de fluides (silice authigénique), probablement
responsables de la dissolution des carbonates.
-
La
typologie des fossiles observés.
-
L’origine
des variations de granulométrie d’une boule à
l';autre.
-
La
quantification de la dispersion du calibrage des grains de chaque
boule, et les possibles raisons de cette dispersion : quelle
est la part de l'apport éolien par rapport à l'apport
fluvial.
-
Des
recherches plus détaillées sur les cordons, et leur
connexion précise avec les pistes en étoiles observées
sur les surfaces de plages reliques.
-
NB :
Liste non exhaustive.
Annexe 1
Lames minces - Paramoudra P19
Corps
du paramoudra : Echantillon 5, lames réf. JZK-Par
-
Grès
composé de grains de silice à calibrage moyen, compris
entre 100 et 1000µ, avec majorité de petits grains.
-
Grains
non jointifs, les contacts sont uniquement ponctuels.
-
Espace
disponible entre grains entièrement empli par des cristaux
de calcite, que l'on désigne par le terme « ciment
calcaire ».
-
La
majorité des grains de quartz sont monocristallins ; il
y a en outre des grains polycristallins dans une fraction estimée
à moins de 10%, dont majorité de grains d'origine métamorphique,
et une minorité de grains de cherts (assemblage de microcristaux
de taille inférieure ou égale au micron)
Vue en LP – Ech 1/15

Vue en LPA – Ech 1/15
La photo ci contre en LP montre la texture du corps de paramoudra,
composé de grains de quartz limpides entourés de ciment
calcaire plus jaunâtre. Les cristaux jaunes sont des cherts (voir
aussi photo ci-dessous)
La même zone en LPA montre la même texture, la
variation de granulométrie des grains de silice, entre 100 et 1000
µ, avec dominante de fins. Il y a nette dominante de grains mono
cristallins. Les cristaux allongés de muscovite paraissent avec
des teintes vives du 2ème ordre.

Vue en LP – Ech 1/5

Vue en LPA – Ech 1/5
-
On
remarque l'agencement des grains, jointifs tout au plus par un somment,
avec le remplissage de calcite, sans vide résiduel.
Tube:
Echantillon 5, lames réf. JZK-Par2 et JZK-Par3
-
La
paroi du tube se distingue par un espacement légèrement
plus grand des grains, par une porosité résiduelle
non nulle, par la présence de matière apparemment
de même nature et de même couleur que les débris
de coquilles (photo de gauche), mais tellement fine que les cristaux
ne sont pas visibles
Zoom
à droite


Pleine
lame, avec section du tube
(en
partie supérieure)
Détail
de la paroi du tube (partie noire) et présence simultanée
de K et Al en plus de Si et Ca.
Encaissant :
Echantillon 1, lames réf. JZK-E1
-
Grès
composé d’un assemblage de grains de quartz.
-
Absence
totale de ciment calcaire.
-
Grains
de même granulométrie que le corps du Paramoudra, et
de compaction plus forte avec des faces jointives, parfois soudées.
-
Porosité
résiduelle importante.
-
Très
peu de débris de coquilles
-
Quelques
minéraux verts en LP et LPA, non pléochroïques
(glauconie probable plutôt que tourmaline), en abondance plus
grande que dans le corps.
 
Vue en LP – Ech 1/15 Vue en
LPA – Ech 1/15
Enveloppe :
Echantillon 3, lames réf. JZK-E3
***
Annexe 2
Lames minces - Paramoudra P2
Corps
du paramoudra : Echantillon 2, lames réf. JZK-E2

Vue en LP – Ech 1/15

Vue en LPA – Ech 1/15
***
Annexe 3
Lames minces - Paramoudra P22
Corps
du paramoudra : Echantillon 6, lames réf. JZK-P22
-
Grains
non jointifs, les contacts sont uniquement ponctuels.
-
Espace
disponible entre grains entièrement empli par des cristaux
de calcite.
-
La
majorité des grains de quartz sont monocristallins.
-
Enveloppe :
Echantillon 7, lames réf. JZK-E22
-
Comme
dans les autres lames d'enveloppe ou encaissant, il y a absence
de ciment, et la compaction est un peu plus forte que dans les paramoudras ;
les grains peuvent être jointifs, mais toujours avec une porosité
résiduelle notable ; ici une partie de cette porosité
a été envahie partiellement par un minéral
de couleur rouille, pratiquement amorphe et qui évoque une
nature argileuse. (voir les lames minces)
***
Annexe 4
Spectres DRX
-
Les
analyses ont porté sur le tube, le corps de paramoudra, l'enveloppe
et le cordon pour lequel c'est les seules données dont on
dispose (pas de lames mince).
-
Erratum :
à la place d' « ancaissant »,
il faut lire « corps » sur les diagrammes.



- De fait, ces résultats ne sont pas nécessairement
complets ni représentatifs de tous les cas de figure et il
n'est pas prudent d'en tirer des conclusions définitives ;
il conviendrait à minima de réaliser des mesures sur
d'autres échantillons que ceux de l'étude.
henryjl
Page 20 23/01/2015
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